DIPLOMATIE. Chef de la délégation française lors de plusieurs négociations à l’Onu, Éric Danon réagit à l'évolution de cette organisation, dans laquelle fusent les critiques contre l'ancien colonisateur occidental.
Propos recueillis par Anne-Flore Marie et Lara Tchekov
Le JDD. Le problème de neutralité à l’UNRWA soulevé dans le rapport Colonna n’a pas suscité beaucoup de réactions à l’Onu. Comment l’expliquez-vous ?
Éric Danon. Le fait que le commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, n’ait pas démissionné alors que les écoles et hôpitaux de l’UNRWA servent de caches d’armes au Hamas pose problème. L’UNRWA est une agence de l’Onu mais dont le contrôle par l’Onu est défaillant. Vu son personnel, on peut dire qu’elle fonctionne plutôt comme un organisme palestinien dirigé par des cadres non palestiniens, majoritairement occidentaux, qui servent d’interfaces administratives pour lui transférer l’argent de l’Onu.
Le plus grave est que l’UNRWA participe à la pérennisation du problème palestinien en contribuant à maintenir le statut de « réfugié » pour les Palestiniens, y compris dans les territoires palestiniens eux-mêmes, ce qui est extrêmement critiquable. Ce statut est unique car les règles pour déterminer qui est un réfugié palestinien sont différentes de celles appliquées à tous les autres réfugiés du monde et qui dépendent du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Le financement de l’UNRWA avait été suspendu en janvier. Il a repris alors que neuf employés de l’agence viennent d’être licenciés pour leur participation présumée aux attaques du 7 octobre. La France doit-elle continuer de soutenir financièrement l’UNRWA ?
Il est nécessaire de mettre en place un plan sur trois ou quatre ans pour que les pays qui financent l’UNRWA, notamment les pays occidentaux, fassent évoluer l’agence et qu’on aille vers une disparition progressive de l’UNRWA. Une partie du budget de l’Autorité palestinienne provient de pays comme le Qatar, l’Arabie saoudite et l’Iran. Environ 7 % de son budget annuel est alloué aux prisonniers condamnés pour terrorisme ou bien aux familles de ceux qui sont tués parce qu’ils se battent contre Israël. Ces fonds, connus sous le nom de « fonds pour les prisonniers » et « fonds des martyrs », représentent environ 350 millions de dollars par an.
Aujourd’hui, l’économie palestinienne est en train de s’effondrer et les Palestiniens demandent de nouvelles aides financières d’urgence. Si on ne les aide pas, cela pourrait déclencher de graves troubles en Cisjordanie, voire une nouvelle intifada. Mais si on les finance, une part des sommes versées risque d’être détournée vers des terroristes ou leurs familles. Le problème est sans solution parce qu’il a été mal abordé dès le départ.
« Le bilan d'António Guterres est bien maigre »
António Guterres semble ignorer le « problème UNRWA ». Est-il un bon secrétaire général ?
Je vous renvoie à son bilan, en particulier quant à son rôle dans les conflits comme les guerres Russie-Ukraine, Arménie-Azerbaïdjan, et Israël-Hamas : nous dirons par euphémisme qu’il est bien maigre. Sous sa direction, l’Onu montre son inefficacité dans la résolution des conflits actuels.
La 79e session de l’Assemblée générale s’ouvre le 10 septembre prochain dans un contexte international très tendu. Comment les Nations unies peuvent-elles fonctionner efficacement avec un Conseil de sécurité bloqué ?
Vous avez raison, c’est un frein considérable à l’efficacité de l’Onu. En ce qui concerne la guerre et la paix, le Conseil de sécurité a un rôle central. S’il est paralysé du fait des veto des membres permanents, les Nations unies ne peuvent jouer leur rôle pour faire baisser les tensions internationales et progresser la paix.
L’Onu est-elle en mesure d’assurer la paix dans un monde multipolaire ?
Elle n’a jamais pu assurer parfaitement cette mission fondamentale. Face aux conflits internes partout dans le monde, l’Onu peut utiliser certaines procédures de conciliation, de médiation, d’arbitrage… Mais cela n’éteindra pas l’envie de certains peuples de se confronter les uns aux autres, qui est une constante de l’Histoire.
Des critiques contre l'Occident relayées chaque jour à l’Onu
Finalement, favorise-t-elle les initiatives visant à fragiliser les puissances occidentales ?
Nous traversons une époque de bouleversement des valeurs. Le temps qui passe entraîne l’oubli de l’Histoire. Pour les jeunes générations d’aujourd’hui, le mal absolu n’est plus la Shoah ou la Seconde Guerre mondiale. Désormais, c’est le colonialisme. D’où la montée des critiques contre l’Occident dont une partie de la richesse s’est construite sur 400 ans de colonialisme, critiques relayées chaque jour à l’Onu où chaque pays, ancien colonisé ou colonisateur, représente une voix.
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