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Michel Goya : à Gaza, «un cessez-le-feu serait une victoire du Hamas» face à Israël


ENTRETIEN - «L’humiliation des adversaires ne peut que secréter des vengeurs et des nouveaux combattants», estime l’ancien colonel des troupes de marine, qui publie ce jeudi un nouvel essai.

Michel Goya est ancien colonel des troupes de marine et docteur en histoire contemporaine. Il a travaillé au Centre de doctrine d'emploi des forces à l'École militaire comme officier traitant à la division recherche du retour d'expérience (DREX).

À ce titre, il a analysé les conflits du Proche-Orient, et leurs enjeux. Il publie ce jeudi l'embrasement, comprendre les enjeux de la guerre Israël-Hamas qui retrace l’histoire politique et militaire de cet affrontement.


LE FIGARO. - Cet ouvrage paraît quelques mois après une histoire immédiate de la guerre d’Ukraine. Quelles sont les différences entre ces conflits qui saturent nos espaces médiatiques ?

Michel GOYA. - Ils ne sont pas de même nature. Israël affronte une organisation armée, le Hamas. Certes, cette organisation possède nombre d’attributs d’un État, dont une armée. Le contexte, cependant, diffère. La surprise stratégique rassemble, en revanche, ces deux conflits. L’attaque du 7 octobre en Israël, comme celle du 24 février en Ukraine, n’avait pas été anticipée.

Elles sont le symptôme d’une période nouvelle, où l’inhibition a disparu, où l’emploi de la force est davantage utilisé dans les jeux de puissances. La Russie ne sent pas liée par quoi que ce soit. Nous connaissons une période, incontestablement, plus violente que la précédente.


Un facteur, néanmoins, rassemble ces deux conflits : le combat en milieu urbain. Est-ce un «égalisateur de force» ?

Le monde, en effet, est davantage urbanisé. Le combat, logiquement, se déroule largement en ville. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les combats en Ukraine se sont déroulés au même endroit. Seule différence : des villes ont depuis été construites. Ces secteurs sont très particuliers, denses, durs, la puissance de feu y est annulée. La ville représente une protection pour les défenseurs grâce aux murs, mais aussi grâce aux habitants qui jouent, malgré eux, le rôle de boucliers humains.

La ville de Mossoul, reconquise en 2017. AHMAD AL-RUBAYE / AFP

Un ennemi, comme le Hezbollah au Liban, ou Daech en Syrie et en Irak, se retranche en milieu urbain pour affronter la puissance d’une armée moderne. C’est une donnée fondamentale du combat contemporain, qui est étudiée dans les milieux militaires.


La supériorité technologique présente-t-elle un réel avantage dans un combat urbain ?

Paradoxalement, malgré sa supériorité technologique, Tsahal pratique un combat plus rapproché à cause du milieu urbain. Les fantassins doivent combattre à très courte distance, c’est une méthode recherchée par le défenseur. L’attaquant ne pourra utiliser toute sa puissance de feu aérienne ou d’artillerie. Il faut bien comprendre que 60% des fantassins tués au combat le sont sans voir l’ennemi !

La technologie permet, cependant, grâce aux drones et à certains capteurs d’obtenir une supériorité. Le combat d'infanterie n'a pas énormément évolué depuis la Seconde Guerre mondiale. Paradoxalement, les armées occidentales n’ont pas fait énormément d’effort pour développer le niveau de leur infanterie.


Sauf, écrivez-vous, les États-Unis ...

Ils ont constaté que 70 à 80% des pertes en opérations sont des fantassins. Le fantassin devient donc une priorité stratégique. Les armées occidentales doivent faire un saut qualitatif par rapport à la Seconde Guerre mondiale. Si on téléportait une section française ou britannique face aux grenadiers allemands en 1944, il n’est pas évident qu’elle l’emporte.

Les Israéliens n’ont pas effectué ce saut et combattent contre le Hamas qui est équipé d’armes ex-soviétiques qui infligent des dégâts. Ils ont préféré mettre l’accent sur la haute technologie et la puissance de feu à distance.


Un officier israélien vous a confié une phrase qui résume leur doctrine : «on préfère la sécurité à la paix» . Quels sont les écueils d’une telle politique ?

C’est une politique de Sisyphe, qui condamne à recommencer éternellement. Deux emplois du monopole de la force étatique sont possibles : la guerre et la police. Dans le premier cas, un ennemi est désigné, combattu, vaincu et une paix signée. Dans le second, la force est utilisée pour maintenir l’ordre et neutraliser ceux qui contreviennent à cet ordre.


Je vais vous livrer une anecdote. Lors d’un premier contact que j’ai eu avec des officiers israéliens, l’un d’eux me dit : «le problème palestinien est résolu». Devant mon interrogation, il sort une courbe montrant une chute des attentats terroristes. Je réponds que c’est un peu court, mais il réplique que les efforts qui amèneraient à la résolution des problèmes sont trop importants, qu’ils se contenteront de maintenir l’ordre et d’une certaine manière de faire la police.


« Israël se condamne, tel Sisyphe, à ’tondre le gazon’ tous les deux ans ».

Ils appellent ça «tondre le gazon». Des combats apparaissent donc régulièrement, depuis le désengagement de Gaza : 2006, 2008, 2012, 2014, 2021. Israël se condamne, tel Sisyphe, à refaire la même chose tous les deux ans. Puisqu’il n’y a pas de paix, alors ce n’est plus la guerre, mais une mission de police éternelle.


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Afin de «rétablir sa dissuasion» , nombre d’observateurs annonçaient qu’Israël voulait obtenir un ratio de Palestinien tués plus important que celui d’Israéliens tués. Cette méthode, sans perspective de paix, ne condamne-t-elle pas à intervenir régulièrement ?

Elle remonte aux origines de l’État. Le pays, étroit, est encerclé par des États arabes qu’il juge hostiles. Israël considère que cette méthode a un double bénéfice : d’abord, elle endommage l’outil militaire de l’adversaire, ensuite elle permettrait que ce dernier renonce à la guerre et à constituer une menace. Les Israéliens ont donc développé cette idée de frapper très fort pour ’calmer les ardeurs’, mais cette stratégie ne fonctionne qu’à court terme.

Ce n’est, pourtant, pas le meilleur moyen de parvenir à une paix durable. Mais ce n’est pas absurde. Après la guerre de 2006, bien que le Hezbollah ait revendiqué la victoire, il a été beaucoup plus prudent par la suite contre Israël. À l’inverse, cependant, la paix avec l’Égypte n’a été possible que parce qu’en 1973, pendant la guerre du Kippour, l’armée égyptienne a, pendant quelques jours, infligé de lourdes pertes à l’armée israélienne. Elle a donc retrouvé son honneur. Mais l’humiliation des adversaires ne peut que secréter des vengeurs, des nouveaux combattants... Surtout lorsqu'il s'agit d'organisations armées qui sont imbriquées dans la population.



Vous écrivez qu’Israël, au début du XXIᵉ siècle, a décomposé son armée afin de remplir trois missions : protéger la barrière de sécurité ; mener des raids et des frappes ; conduire des raids à grande échelle. Pourquoi ?

Les Israéliens se sont repliés derrière un bouclier, et cherchent à le contrôler à distance avec des frappes. Ils se retirent du Liban en 2000, de Gaza en 2005, et ne gardent finalement qu’un contrôle sur la Cisjordanie. Derrière ces boucliers, il y a une épée prête à frapper. Mais cette stratégie a des conséquences. En se retirant d’une zone, un vide politique se crée, qui est occupé par des organisations armées, le Hezbollah au Liban, et le Hamas à Gaza. Ces dernières vont se renforcer inévitablement.


Ce choix stratégique est dangereux, et le 7 octobre le montre bien. Cette stratégie n’est plus possible après un tel événement. Et Israël veut désormais occuper le terrain pour écraser le Hamas ou, a minima, le réduire à une organisation clandestine. Mais pour ce faire, il faut revenir à la situation politique ex ante où Israël occupe Gaza. Pourtant la logique voudrait que l’Autorité palestinienne reprenne le contrôle du terrain après le retrait israélien, mais, à mon sens, ce n’est pas la direction choisie par le gouvernement israélien.


«L’effondrement de la barrière de sécurité à Gaza pourrait donner des idées au Hezbollah» , écrivez-vous. Israël réclame déjà l’application de la résolution 1701 qui prévoit un retrait du groupe armé derrière le fleuve Litani au Sud-Liban. Un deuxième front est-il envisageable pour Tsahal ?

Oui bien sûr ! Le Hezbollah est une organisation plus puissante que le Hamas. Elle est l’armée arabe la plus compétente tactiquement. Ces gens-là ont beaucoup d’expérience, se sont battus en Syrie, disposent d’un arsenal de frappe important... Si le Hezbollah entre en guerre, ce sera un véritable défi pour Israël.


« Attaquer le Hezbollah serait, à mon sens, une erreur stratégique ».

Jusqu’à présent, le Hezbollah a fait preuve de solidarité avec le Hamas mais ne s’est pas impliqué dans la guerre. D’abord parce que le Liban garde un mauvais souvenir de la guerre de 2006. Je crois que le danger vient désormais surtout d’Israël, qui veut détruire le Hezbollah. Attaquer le Hezbollah serait, à mon sens, une erreur stratégique. Israël commencerait par une campagne aérienne, car on imagine difficilement une campagne terrestre comme en 2006. Cependant, de tels bombardements amoindriraient, certainement, les capacités du Hezbollah mais sans le détruire. Il faudrait donc, finalement, envisager une invasion terrestre. Avec toutes les conséquences d’une occupation ...


«La pression internationale pousse à un cessez-le-feu [...], le problème des otages va devenir plus aigu» , concluiez-vous le 3 janvier, en terminant l’ouvrage. Comment imaginez-vous la fin de cette guerre ?

L’opération terrestre est plus lente que ce que j’estimais. Elle est sans doute plus efficace contre le Hamas que l’opération «Bordure protectrice» de 2014. Les coups portés au Hamas sont rudes et les pertes israéliennes sont celles qui étaient anticipées. L’opération ne s’arrêtera pas là. Les Israéliens ont conquis environ 60% de la Bande de Gaza. Si un cessez-le-feu devient définitif, le Hamas ne sera pas détruit, ce serait donc une victoire de l’organisation armée. Israël voudra, au moins, conquérir la totalité du territoire et libérer les otages.

D’ailleurs, plus l’opération avance, plus la question des otages devient délicate. Elle est l’assurance-vie des dirigeants du Hamas. Tant qu’ils ont cette carte en main, ils peuvent freiner les engagements israéliens. Désormais, un cessez-le-feu assez long en échange des otages pourrait se mettre en place. Mais ces libérations d’otages ne se font qu’en échange du relâchement de prisonniers palestiniens, ce qui accroît la popularité du Hamas. Les perspectives sont très sombres. Pas seulement à court terme, mais aussi à bien plus long terme...

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