Interview de Mohamed Sifaoui par Atlantico
Atlantico : Les branches armées du Hamas et du Djihad islamique palestinien ont revendiqué lundi, dans un communiqué conjoint, un attaque suicide menée dimanche soir à Tel-Aviv et promettent d'autres attentats de ce type en Israël. L’attaque a fait un mort, l’auteur présumé de l’explosion, et un blessé. Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette annonce ?
Mohamed Sifaoui : Il est important de rappeler que le Hamas et le Djihad islamique s'étaient déjà illustrés par des attentats suicides durant la seconde intifada en 2000, ciblant principalement des civils israéliens. Ces événements ont profondément marqué la société israélienne et l'opinion publique internationale, ce qui a d'ailleurs motivé la construction du mur de séparation en Israël.
Depuis 2007, lorsque le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza et suite à l'érection de ce mur, les attentats suicides ont considérablement diminué, laissant place à des actions militaires plus sophistiquées : tirs de missiles, drones, attaques à la roquette, etc. Cette évolution a relégué les attentats suicides au second plan depuis une quinzaine d'années.
Mais avec la situation actuelle à Gaza, le Hamas et le Djihad islamique semblent vouloir renouer avec ce type d’attaque. L'attentat de cette semaine, bien qu’ayant échoué — la charge explosive s’étant déclenchée prématurément — montre cette volonté. Heureusement, seul l'auteur de l'attentat a perdu la vie, tandis qu'un Israélien à proximité a été blessé.
Cette volonté de renouer avec les attentats suicides obéit à trois logiques.
Premier point, Yahya Sinwar, le nouveau chef du Hamas, va désormais privilégier cette tactique. Connaissant bien la société israélienne, il espère que ce type d’attaque puisse affecter l’opinion publique et accentuer les divisions internes.
Deuxième point, ce mode d’action compense l’incapacité croissante du Hamas à mener des opérations militaires de grande envergure, comme les tirs de mortiers et de missiles. C’est donc un indicateur de l’État de santé du Hamas.
Troisième point, l’aspect spectaculaire d’un attentat en territoire israélien contribue à affaiblir l'image de l'efficacité des services de sécurité israéliens, un élément clé dans la stratégie du Hamas depuis le 7 octobre. Ils cherchent à démontrer qu’Israël n’est plus en mesure de protéger ses citoyens, à la fois aux yeux des Israéliens et des Palestiniens.
En résumé, les attentats suicides pourraient redevenir un élément central de la nouvelle stratégie du Hamas, et ils pourraient tenter de réactiver ce mode opératoire avec une fréquence régulière.
À quoi faut-il s’attendre, dans les jours et les semaines à venir ? Le nombre d’attaques de ce type pourrait-il drastiquement augmenter ? Avec quelles conséquences ?
Ce qui semble poser problème pour les groupes terroristes tels que le Hamas, le Djihad islamique et même le Hezbollah, c’est la remarquable capacité de résilience de la société israélienne. En dépit des tensions extrêmes, les menaces de l'Iran, les provocations du Hezbollah et les attaques dans le nord du pays, la société israélienne continue de fonctionner de manière relativement normale. J’ai moi-même des contacts en Israël, et ils me rapportent que, malgré la tension, la vie quotidienne se poursuit presque normalement.
Cette résilience profonde de la société israélienne semble mettre à mal les organisations terroristes. Face à cette réalité, ils pourraient intensifier leur recours aux attentats suicides ou à d'autres formes d'attaques, comme les attaques à la bombe ou les attaques armées à l'intérieur du territoire israélien. Leur espoir est d’affecter la résilience de la société israélienne et de la faire douter de sa capacité à maintenir sa normalité. En effet, ils cherchent à briser cette résilience en augmentant la fréquence et la gravité des attaques pour semer le doute et l'angoisse parmi les Israéliens.
En déplacement en Israël, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a averti lundi 19 août que les négociations en cours étaient « peut-être » la dernière chance de parvenir à un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza. La nouvelle stratégie du Hamas enterre-t-elle définitivement cette perspective ?
Je ne crois pas du tout à une perspective de cessez-le-feu dans les conditions actuelles, car les visions des deux parties sont totalement antagonistes et très éloignées l’une de l’autre. Pour parvenir à un compromis, il faudrait que les positions des deux parties se rapprochent, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Pour simplifier, le gouvernement israélien a pris une décision ferme et irrévocable : le Hamas ne dirigera plus jamais Gaza. De son côté, le Hamas espère revenir à une situation similaire à celle qui existait avant le 7 octobre, c’est-à-dire obtenir un cessez-le-feu qui lui permettrait de continuer à contrôler Gaza.
Sur le terrain, Israël a décidé de maintenir un contrôle strict sur la zone frontalière entre l’Égypte et Gaza, un axe stratégique par lequel transitent armes et contrebande. Israël bloque totalement ces voies de circulation, notamment les tunnels utilisés par le Hamas et le Djihad islamique.
De plus, le corridor Netzarim, un autre axe stratégique à l'intérieur de Gaza, est également sous contrôle israélien. Le Hamas exige un retrait complet de l’armée israélienne de Gaza, une demande que les Israéliens considèrent comme inacceptable.
Israël a compris que la force du Hamas et du Djihad islamique se renforce lorsqu’ils contrôlent un territoire. Pour affaiblir ces organisations, Israël doit les empêcher de contrôler même une petite portion de territoire comme Gaza.
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