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François Heilbronn au JDD : « La propagande propalestinienne s’est muée en hostilité antijuive »



Six mois après le plus grand massacre de civils juifs depuis la Shoah, François Heilbronn, professeur associé à Sciences Po, décrypte la situation de l'antisémitisme en France. Et dénonce le séparatisme religieux qui empêche le dialogue entre communautés.


Le JDD. Les actes antisémites ont explosé en France depuis les massacres du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023. Quels sentiments vous traversent ?

François Heilbronn. Six mois après le plus grand massacre de civils juifs depuis la Shoah et en Israël, les mêmes sentiments de sidération, de colère et de justice m’animent. En France, dans une inversion victimaire, ces viols, tortures, crémations vivantes, assassinats et enlèvements de familles juives entières ont suscité par un mimétisme criminel la multiplication des agressions antisémites. Sur les trois derniers mois de 2023, il y eut ainsi en France une augmentation de 1 000 % de ces actes. 8 % des Français adultes considèrent les crimes du Hamas comme un acte de résistance. Cette fascination est la principale source de la violence contre les Français juifs.


Être Juif en France, être Français juif, c'est être l’héritier de deux idéaux universalistes, ceux des dix commandements, ceux de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. C’est nourri de ces idéaux que nous sommes depuis notre accès à la citoyenneté française le 17 septembre 1791, éternellement reconnaissants à la France, mais aussi toujours à l’avant-garde des combats pour défendre nos valeurs républicaines. Être un Français juif, c'est être lucide que le combat contre l’antisémitisme est toujours un combat pour les idéaux républicains de l’affaire Dreyfus à notre participation massive à la Résistance de 1940 à 1945. Nous continuons aujourd’hui à défendre ces valeurs d’humanisme et d’universalisme.

La main ne doit jamais trembler contre les antisémites

Que faut-il faire pour protéger les Français juifs ? 

En 1946, Jean-Paul Sartre concluait ses Réflexions sur la question juive par cette phrase restée d’une brûlante actualité : « Pas un Français ne sera libre tant que les Juifs ne jouiront pas de la plénitude de leurs droits. Pas un Français ne sera en sécurité tant qu’un Juif en France et dans le monde entier, pourra craindre pour sa vie. » Les Français sont menacés chaque fois qu’un Français juif est menacé. Le président de la République l’avait parfaitement exprimé en 2020 lors d’un voyage en Israël : « L’antisémitisme n’est pas seulement le problème des juifs, non, c’est d’abord le problème des autres. Car à chaque fois dans nos histoires, il a précédé l’effondrement, il a dit notre faiblesse. » Nos gouvernants depuis vingt-ans sont conscients de ce fléau et assez déterminés contre lui, mais cette protection nécessite trois conditions qui doivent mobiliser tous les Français.


La première des protections des Français juifs, c'est la lutte implacable, déterminée contre les porteurs, les propagateurs de haine, des réseaux sociaux aux hommes et femmes politiques, parmi lesquels de nombreux députés de la France Insoumise. L’antisémitisme n’est pas une opinion, c’est un crime, et comme tout crime, il doit être poursuivi et sanctionné. La loi sur le délit d’antisémitisme et de racisme vient enfin d’être renforcée à l’initiative des trois courageux députés Renaissance, Carolin Yadan, Mathieu Lefèvre et Sylvain Maillard, contre l’opposition du RN et de LFI. Ces haines ont enfin été sorties du droit de la presse pour devenir des délits pénaux. Les propagateurs de haine antisémites comme Soral et Dieudonné iront peut-être enfin en prison pour ces délits répétés. La main ne doit jamais trembler contre les antisémites, espérons que les juges français fassent enfin preuve de fermeté grâce à cette loi amendée.

La deuxième des protections, c'est la solidarité de tous les Français. Un sondage Ifop paru le 7 avril montre que 72 % des Français sont lucides et considèrent que l’augmentation drastique des actes antisémites en France est « une menace sérieuse pour les Français de confession juive, mais également pour la société dans son ensemble ». Les Français l’ont d’ailleurs prouvé en étant plus de 200 000 à descendre dans les rues de France le 12 novembre 2023 pour dire non à l’antisémitisme. Après cette forte mobilisation les actes antisémites ont perdu en intensité. Dans le même sondage, 73 % des Français sont pour l’interdiction des manifestations propalestiniennes en France, car des propos antirépublicains et antisémites y sont régulièrement proférés. Les Français exigent donc plus de fermeté, ils ont raison.

Enfin, l'éducation est toujours la meilleure des solutions contre les haines. La haine est souvent le fruit de l’ignorance, des préjugés, des jalousies fantasmées. Il faut enseigner l’histoire des Juifs et pas seulement celles de leurs persécutions, mais aussi leur apport à la culture, aux réformes sociétales, à la modernité, la science, l’humanité et à la France. Une histoire positive des Juifs doit être racontée comme celle de l’histoire positive du sionisme, mouvement d’autodétermination du peuple juif pour reconstruire son pays sur sa terre ancestrale.


Peut-on encore étudier sereinement quand on est juif en France ?

Dans une étude nationale de l’Union des étudiants juifs de France réalisée en septembre, soit avant la flambée antisémite de l’automne, 24 % des étudiants juifs français ont déclaré avoir choisi leur université ou leur école en fonction du climat antisémite qui y règne ou pas. Mais cela était avant le 7 octobre. Depuis, dans de trop nombreuses universités, la propagande propalestinienne s’est muée très vite en hostilité antijuive. Ostracisme, assignation à leur identité, ultimatum en exigeant un soutien aux Gazaouis sont le lot quotidien de nombreux étudiants juifs.


Il y a plus insidieux : quand un étudiant ou étudiante juif s’assoit, son voisin va changer ostensiblement de place. Il ou elle aura du mal à travailler dans un groupe. Les affiches pour les otages civils israéliens ont été systématiquement arrachées, les réunions de soutien à Israël et aux otages perturbées ou empêchées, là où les manifestations violemment contre Israël se multiplient. Elles sont principalement le fruit des organisations syndicales étudiantes d’extrême gauche et des Comités Palestine. La France Insoumise conduit depuis deux à trois mois une stratégie déterminée de radicalisation sur ce sujet en envoyant ses ténors anti-israéliens et Rima Hassan (activiste syro-française réclamant la disparition de l’État d’Israël) dans de nombreuses universités.

Ainsi quand vous êtes un étudiant juif en France, il est de plus en plus difficile, principalement dans les universités de sciences sociales et humaines, d’étudier sereinement.

Nous refusons cette définition purement géographique de « Juifs de France »

Les Juifs furent souvent parmi les plus vaillants défenseurs de la République. Pourquoi restent-ils malgré tout dans l’inconscient collectif des « Juifs de France » et non des Français juifs ?

Les Juifs sont en France depuis le Ier siècle. Je peux même dire : « mes ancêtres les Gaulois… Juifs ». Comme je l’ai raconté dans mon roman Deux étés 44 – Metz 1744 - Drancy 1944 (Stock, 2023), je peux remonter la présence de ma famille au moins au XIe siècle à Troyes en Champagne, car comme beaucoup de Français juifs, je descends du grand talmudiste et premier prosateur en langue française, Rachi de Troyes. Je suis un Français juif et « citoyen actif » depuis 1791. Donc nous sommes des Français juifs et fiers de l’être et refusons cette définition purement géographique de « Juifs de France » comme une nouvelle tentative d’exclusion de la communauté nationale comme au bas Moyen Âge.


Le mot « antisémitisme » est-il apte à définir ce qu’il est censé désigner ? Comment nommer sans ambiguïté sinon cette hostilité antijuive ?

Le mot d’antisémitisme a été inventé par un journaliste antisémite allemand de la fin du XIXe siècle, Willem Marr. Jusqu’alors la haine des Juifs était principalement d’ordre religieux, c’était l’antijudaïsme. Mais l’antisémitisme est comme un mille-feuille de la haine, de la plus ancienne des haines. À chaque époque, on rajoute une couche sans enlever la précédente. À l’antijudaïsme chrétien ou musulman, on a rajouté au XIXe siècle l’hostilité sociale et politique, puis à partir de la fin du XIXe la haine raciale, enfin depuis le début des années cinquante l’antisionisme.

Comme l’a si bien compris le grand philosophe et ancien résistant Vladimir Jankélévitch dans L’imprescriptible en 1967, oui en 1967 : « L’antisionisme est une incroyable aubaine, car il nous donne la permission – et même le droit, et même le devoir – d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. »

Il n’y a donc rien de très nouveau. Je conserve donc le terme d’antisémitisme pour qualifier ces comportements déviants haineux et dangereux, et ce, pour deux raisons : premièrement, c’est celui qui englobe toutes les formes de haine des Juifs et a fait l’objet d’une excellente définition de l’IHRA adoptée par toutes les grandes démocraties. Deuxièmement, dans la loi française, la haine et les discriminations contre les Juifs sont ainsi définies. Pour mieux en comprendre ses enjeux modernes deux passionnants essais viennent de paraître, La nouvelle causalité diabolique (L’Observatoire) du professeur Perrine Simon-Nahum qui ausculte « la démocratie à l’épreuve de l’antisémitisme », et celui de Brigitte Stora : L’antisémitisme : un meurtre intime (Le Bord de l’eau).

Notre laïcité est essentielle, le séparatisme religieux est un poison

Comment la laïcité a-t-elle été vécue par les Juifs en France et comment la vivent-ils aujourd’hui ? Que pensez-vous du parallèle entre porter la kippa et le voile dans l’espace public ?

La laïcité a été reçue par les Français juifs comme une garantie de la séparation de l’Église et de l’État, et donc de la neutralité religieuse de nos institutions. C’était donc une émancipation supplémentaire, la République devenait neutre et n’était plus celle d’une religion dominante, le catholicisme. La laïcité, c'était la possibilité de croire ou de ne pas croire et renvoyait la religion au domaine privé.

La kippa comme la croix ne sont que des symboles religieux, contrairement au voile qui dans beaucoup de cas est instrumentalisé par l’islam radical pour recruter et polariser nos sociétés. Pour préserver la laïcité dans l’espace public, je suis très favorable à la loi de mars 2004 qui a interdit dans les écoles collèges et lycées TOUS les signes religieux ostentatoires. La préservation de notre laïcité est essentielle, le séparatisme religieux est un poison.


Un dialogue entre les communautés juive et musulmane est-il encore possible ? 

Le dialogue est toujours possible à condition que chacun respecte l’autre et qu’aucune haine ne soit tolérée. Je dialogue beaucoup plus facilement avec mes amis musulmans de bonne volonté qui repoussent l’islam radical mortifère qu’avec l’extrême gauche ignorante et haineuse d’Israël et des Juifs. J’enseigne deux cours à Sciences Po l’un sur « l’histoire des Juifs en France depuis 2000 ans », l’autre sur le judaïsme, l’histoire des Juifs dans le monde, l’antisémitisme et le sionisme. J’ai à chaque fois plusieurs étudiants musulmans.

Cela se passe très bien, car je construis un espace de dialogues et de transmission de connaissances. L’année dernière, un étudiant canadien musulman m’avait même écrit à la fin de l’année « Je vous remercie car vous m’avez guéri de tous les préjugés de ma famille ». Ce fut le plus beau compliment rendu à cet enseignement. Donc les juifs et les musulmans doivent toujours dialoguer dans le respect de nos différentes sensibilités comme de nos attachements à Israël ou à la cause palestinienne. Cependant, nous ne tolérerons jamais la haine ou la violence promue par l’islam radical dans le monde comme en France.


Propos recueillis par Ayrton Morice Kerneven

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