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Iran-Israël : le monde retient son souffle


En lançant pour la première fois une attaque massive contre l’État hébreu, le régime de Téhéran a pris le risque d’une réaction en chaîne… incontrôlable.

​En 1979, l’ayatollah Khomeyni avait annoncé vouloir « détruire Israël ». Son projet : se positionner comme le fer de lance des pays musulmans dans la lutte contre l’« ennemi sioniste ». Depuis, Iran et Israël se livrent une guerre secrète à coups d’opérations clandestines et de cyberattaques. Ces derniers mois, le Mossad a multiplié les assassinats ciblés contre des hauts responsables du corps des Gardiens de la révolution, bras armé du régime iranien, quand l’Iran lui a répondu par le biais d’attaques menées par ses proxys depuis Gaza, le Liban du Sud, l’Irak et le Yémen.


Mais, samedi soir, un cap a été franchi. Après le bombardement par Israël du consulat iranien à Damas, le 1er avril, qui a tué l’un des commandants de la force Al-Qods, l’unité d’élite chargée des opérations extérieures du corps des Gardiens de la révolution, la République islamique a choisi de rompre avec sa stratégie de guerre asymétrique et de frapper Israël sur son territoire. Dans la nuit du 13 au 14 avril, le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, a lancé une attaque : 170 drones, 110 missiles balistiques et 34 missiles de croisière ; 99 % ont été abattus avant d’atteindre leur cible. Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, qui dispose d’une très haute technologie, d’avions et de radars, ont apporté leur soutien à la défense de l’État hébreu.


Une rupture stratégique

Chercheur iranien et auteur d’« Histoire secrète de la révolution iranienne » (Denoël, 2009), Ramin Parham est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes des relations entre Israël et l’Iran. « Le risque d’une attaque frontale était élevé, explique-t-il. Néanmoins, ce 14 avril 2024 marque un tournant historique, qui ressemble à une rupture stratégique. L’Iran vient de réaliser ce qu’aucun État arabe n’a jamais fait : une attaque frontale contre Israël menée par un pays seul, sans soutien stratégique de grandes puissances. Cette opération a fait appel à une infrastructure technologique, technocratique et militaire avancée, et elle a été portée contre un pays doté d’un arsenal atomique. Cela signifie que l’Iran est le pays pivot de toute cette région et que, sans lui, aucun ordre durable ne sera possible en Asie occidentale. » Selon le spécialiste, l’inquiétude est toutefois de mise dans le pays : « On assiste en Iran, depuis samedi soir, à des files d’attente interminables devant les stations-service, les distributeurs de billets et les magasins d’alimentation. »


Déclenchement de l’attaque. De g. à dr: Gholam Ali Rashid, commandant du quartier général central de Khatam al-Anbiya, Hossein Salami, commandant en chef du corps des Gardiens de la révolution islamique, Mohammad Hussein Baqeri, chef d’état-major des forces armées, et Ali Fadavi, commandant en chef adjoint des Gardiens de la révolution. Le 13 avril. © DR


Activiste franco-iranienne à la tête du collectif Femme Azadi, Mona Jafarian ­l’affirme : « Alors qu’on pourrait imaginer un peuple iranien à l’image de ses dirigeants, c’est en réalité tout l’inverse. » Résidant en France, elle est sous protection policière depuis un mois. La raison des menaces de mort qui pèsent sur elle ? Ses vidéos, dans lesquelles elle appelle à faire tomber les mollahs, sont fortement relayées sur les réseaux sociaux. Elle est donc perçue comme un danger par les clercs au pouvoir à Téhéran. Elle insiste : « Il existe une histoire commune très forte, vieille de trois mille ans, entre les Perses et les juifs. Cette relation est intacte malgré les quarante-cinq ans de régime islamique. Et les liens sont d’autant plus forts depuis le 7 octobre. » Déterminée à faire entendre la voix de son peuple, elle lance un appel : « La population iranienne partage les mêmes valeurs de laïcité, de démocratie, de liberté et d’humanisme que la France. Elle est prête à tout pour se sauver, mais aussi sauver le monde libre de l’intégrisme qui nous fragilise. Il serait donc temps que les dirigeants occidentaux prennent la mesure de ce qui se joue et apportent un soutien inconditionnel aux Iraniens. Il y va de l’avenir de nos démocraties. »


Le poing levé de la victoire, au siège du Madjles, l’Assemblée consultative islamique, à Téhéran. Le 14 avril. Zuma Press / Bestimage / © Zuma Press / Bestimage


Opposant exilé en Suisse, le prince Davoud Pahlavi commente les raisons de l’attaque iranienne : « La volonté des religieux iraniens de raser Israël est fondée sur leurs liens historiques avec l’organisation islamiste des Frères musulmans égyptiens qui sont antisémites. Israël est aussi la seule démocratie en même temps qu’un rempart de l’Occident au Moyen-Orient, ce qui les gêne. » Il ajoute : « Les États-Unis se trompent en jouant la carte de la désescalade avec la République islamique. Cela ne fait que retarder le problème, car les ­mollahs recommenceront avant quelques mois. Cette attaque contre Israël et la répression contre le peuple iranien, c’est une façon de se maintenir au pouvoir. Si l’on veut ramener la paix, il faut en finir une fois pour toutes avec la République islamique d’Iran. » Résolu, il assure que « le régime a peur d’une nouvelle révolution liée aux tensions avec Israël. Car la jeunesse aspire à la liberté. C’est pourquoi il verrouille tout à l’intérieur du pays ».

 L’attaque ressemble à une démonstration de force de ­Khamenei 

Adrian Calamel, consultant en géopolitique et spécialiste du Moyen-Orient à l’Arabian Peninsula Institute (Washington), considère aussi que « l’attaque ressemble à une démonstration de force de ­Khamenei pour calmer les troubles politiques internes ; un pari énorme parce ­qu’Israël doit répondre, ce qui peut expliquer l’absence de dommages physiques causés par les Iraniens. Le volume des projectiles lancés par Téhéran et ses mandataires depuis le Yémen et l’Irak était sans aucun doute massif, mais il était destiné à limiter la riposte ». Ce fin connaisseur de l’Iran insiste sur le fait que ­l’armée israélienne dispose d’au moins 3 000 cibles militaires et économiques en Iran. « Il s’agit des bases et du personnel de l’infanterie, de la marine et de l’armée de l’air du corps des Gardiens de la révolution, de sites de production et de stockage d’armes, ou de réseaux de communication. Les cibles économiques sont tout aussi importantes : paralyser les industries pétrolières et pétrochimiques de Téhéran serait un désastre pour le régime. »


La réunion du Conseil de sécurité des Nations unies lors de laquelle le représentant d’Israël, Gilad Erdan (à dr.), a réclamé des sanctions contre l’Iran. Le 14 avril. Yuki Iwamura/AP/SIPA / © Yuki Iwamura/AP/SIPA


Les services de renseignement israéliens ont déjà frappé des cibles militaires en Iran. Disposant d’une base à Erbil, au Kurdistan irakien, ils se sont appuyés sur le Komala, les forces kurdes iraniennes, pour obtenir du renseignement. Établis à la frontière entre l’Iran et l’Irak, ces dernières ont une parfaite connaissance des réalités à l’intérieur de l’Iran. Joint au téléphone, le secrétaire général du parti, Abdullah Mohtadi, nous a expliqué : « Après une répression sévère et brutale des manifestations en Iran l’année dernière, les forces de sécurité ont repris le contrôle des rues, mais la situation reste fragile. Tout le monde s’attend à ce qu’une nouvelle vague de protestations ait lieu. Nous voulons qu’Israël et le monde entier comprennent que cette guerre n’est pas la nôtre. Elle est menée par le régime pour faire avancer son programme d’hégémonie régionale par la terreur et la destruction. Notre ennemi est à l’intérieur de nos frontières. »

 La République islamique est en train de mourir. Les seuls qui ne le voient pas, ce sont ses dirigeants 

L’Iran connaît une véritable révolution sociologique. L’âge moyen y est de 32 ans, quand les femmes représentent 63 % de la population universitaire. Le fait qu’elles soient en rupture avec le pouvoir le fragilise fortement. Une étude interne réalisée il y a un an par le service de renseignement de la milice des Bassidjis montrait que 71 % des Iraniens étaient hostiles à la politique répressive du régime. « La République islamique est en train de mourir. Les seuls qui ne le voient pas, ce sont ses dirigeants, dit Hassan [un pseudo], étudiant à Téhéran. Pour se maintenir, les mollahs multiplient les agressions. C’est leur stratégie : faire croire qu’ils sont forts alors qu’ils n’ont jamais été aussi faibles, ce que les Occidentaux ne comprennent pas, contrairement aux Israéliens. »


Joe Biden avec les membres de son Conseil de sécurité nationale, à Washington le 13 avril. AFP / © AFP or licensors


Les mollahs font également face à plusieurs crises. Les deux tiers du pays connaissent des problèmes d’accès à l’eau potable, quand 30 % des Iraniens vivent en dessous du seuil de pauvreté, et que plus de la moitié des Iraniens peinent à se nourrir deux fois par jour. Au sein même de son armée, le régime connaît des dissensions. Selon l’une de nos sources proches du gouvernement iranien, quatre officiers de la force Al-Qods auraient été arrêtés en mars pour avoir critiqué la stratégie d’escalade du guide suprême. Elle souligne que « l’armée iranienne ne pourrait pas tenir plus de six semaines en cas de guerre ». Autant d’éléments qui montrent que le moment n’est pas propice pour que Téhéran se lance dans un affrontement ouvert.

 Depuis 1979 et la catastrophe de la crise des otages américains à Téhéran, les administrations américaines ont une véritable phobie de tout ce qui touche à l’Iran 

Un embrasement du Moyen-Orient est-il cependant possible ? Samedi soir, avant même que les missiles et les drones aient atteint Israël, les Iraniens ont indiqué que l’« incident était clos », tout en enjoignant Israël à ne pas répondre militairement, et les États-Unis, à « rester à l’écart ». ­Olivier Guitta, l’expert en contre-terrorisme franco-américain qui conseille plusieurs gouvernements sur la menace iranienne, commente :  « L’administration Biden ne participera pas, pour l’instant, à une opération israélienne contre le régime iranien. Depuis 1979 et la catastrophe de la crise des otages américains à Téhéran, les administrations américaines ont une véritable phobie de tout ce qui touche à l’Iran. »


Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou en ligne avec Joe Biden au lendemain de l’attaque. Xinhua/ABACA / © Xinhua/ABACA


Concernant les capacités militaires de la République islamique, il précise : « L’armée de la République islamique est forte de 580 000 soldats si l’on compte les ­Gardiens de la révolution, et de 200 000 réservistes actifs. Elle dispose de nombreuses ressources, parmi lesquelles sa capacité cyber, qui est l’une des meilleures du monde, et d’un arsenal de missiles balistiques qui peuvent atteindre des cibles à 2 000 kilomètres, ainsi que ses drones. La marine iranienne possède, quant à elle, une flotte de bateaux ultrarapides et de petits sous-marins qui pourraient bloquer le détroit d’Ormuz. Mais sa faiblesse réside dans son aviation, très vieille, ainsi que dans ses tanks et véhicules blindés, obsolètes. Elle ne peut donc entrer dans un conflit classique avec Israël. Elle en sortirait défaite. »​


Les JO ciblés ?

L’Iran, habitué à la guerre asymétrique, serait prêt à commettre des attentats contre les États-Unis, l’Angleterre et la France, qui ont soutenu Israël. La France, en « urgence attentat » depuis le 22 mars, pourrait être, selon Adrian Calamel et Olivier Guitta, – ainsi que deux autres experts du renseignement que nous avons interrogés –, « une cible directe » des mollahs et de leurs bras armés, les Gardiens de la révolution. « On peut s’attendre à des attaques ciblées contre des opposants iraniens, mais aussi à des actions spectaculaires menées par ses proxys. Les cibles pourraient être les Jeux olympiques. Et, comme lors de la vague d’attentats commandités par l’Iran qui a frappé Paris entre 1985 et 1986, les transports en commun, des stades et des grands magasins pourraient être concernés », prévient Olivier Guitta.

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