Trop de dirigeants du Moyen-Orient préfèrent la guerre au développement. À la suite du 7 octobre, les peuples doivent affirmer que la cause arabe est mieux défendue par les tours de Dubaï que par les tunnels de Gaza.
Il est une bande de sable au riche passé. Dès 1500 avant J.-C., les Philistins, un peuple venu de la mer et probablement originaire de Crète, y bâtissent un port et une forteresse sur la colline en surplomb. Placée en ce coin stratégique de la Méditerranée, elle est un carrefour naturel entre l'Égypte et Alep, le Tigre, l'Euphrate et, plus au loin, la Perse. Les caravanes d'encens y arrivent. Convoitée, elle sera occupée par les pouvoirs successifs - Assyriens, Perses, Grecs, Croisés, Turcs, Britanniques. Le commerce apporte la richesse, l'olivier et la vigne s'y acclimatent, on y vit bien, bien mieux que partout ailleurs dans cette région aride. Après mille vicissitudes, l'histoire contemporaine va y semer les pires des horreurs.
Il est une autre bande de sable, sur le golfe Persique, sans passé, que des chèvres broutant les buissons et un petit port. Il n'y a rien, ce monde perdu est séparé des fabuleuses civilisations par des milliers de kilomètres de désert. La seule richesse offerte sont les perles au fond de l'eau claire de la mer. La deuxième partie du XXe siècle va, ici, apporter l'or. Le pétrole dort sous les sables infertiles, l'enrichissement est fulgurant dans toute la région du Golfe. Mais pas dans la bande dont nous parlons, qui, malheur à elle, ne dispose que de 4 % des réserves locales, petite manne qui s'asséchera vite.
La paix à Dubaï
À la fin du XXe siècle, le sort des deux bandes de sable - on aura reconnu Gaza et Dubaï - va diverger à 180 degrés. L'émir de Dubaï s'entend avec ses voisins, pour la paix et l'unité. Ils créent une fédération, les Émirats arabes unis. Dubaï, l'émirat « sans pétrole », fait un choix: devenir une ville carrefour de commerce, de voyages, de finance et de loisirs. Le développement immobilier est hardi avec ces fameuses îles "palmes" conquises sur la mer et ces tours immenses. Dubaï a investi dans un immense port de conteneurs, un gigantesque aéroport international et une compagnie aérienne, Emirates, qui va bousculer la profession. Les capitaux y sont choyés. Le soleil permanent en fait une destination touristique. La part du pétrole dans le PIB passe des deux tiers, en 1975, à 18 % en 1995 et à quasi 0 % aujourd'hui.
L'émirat n'est pas exempt de critiques justifiées. Il a fait venir des immigrants d'Inde, du Pakistan ou d'Égypte qui sont honteusement maltraités. La presse n'est pas libre, la fiscalité est opaque, ce n'est pas une démocratie. Son développement repose sur l'excès, le brillant et l'artifice à une époque qui doit découvrir la sobriété. Mais le résultat est indéniable. Les Dubaïotes vivent en paix, disposent de grandes libertés, y compris les femmes, et comptent parmi les plus riches du monde.
La guerre à Gaza
Gaza, lors de la même période, fait le choix opposé. Quand Ariel Sharon retire les troupes israéliennes en 2005, après trente-huit ans d'occupation, l'avenir était ouvert. Gaza aurait pu retrouver sa vocation antique et redevenir un carrefour économique au moment où, justement, le Liban, aux mains du Hezbollah, a abandonné ce rôle. La communauté internationale était prête à y investir. Gaza aurait pu devenir un modèle de réussite dont les Palestiniens de Cisjordanie auraient pu s'inspirer. Israël trouvant la paix sur son flanc sud-ouest aurait, nolens volens, joué le jeu. Gaza aurait pu devenir un petit Dubaï. Mais ses responsables en ont décidé autrement. Ayant gagné les élections locales, le Hamas liquide son ennemi le Fatah et n'investit que dans une politique obsessionnelle : la destruction d'Israël. S'ensuivent des tirs de roquettes continus, des guerres, des répliques, un blocus. Les milliards de dollars et d'euros des aides humanitaires sont autant que possible détournés pour acheter des armes, bourrer le crâne de jeunes terroristes, creuser des tunnels.
Le développement de Dubaï repose sur l'excès, le brillant et l'artifice à une époque qui doit découvrir la sobriété. Mais le résultat est indéniable : les Dubaïotes vivent en paix.
Par sa « victoire » très éphémère le 7 octobre, le Hamas a plongé délibérément le peuple palestinien dans l'enfer. La guerre que mènent les terroristes contre les Juifs, contre le Fatah favorable aux accords d'Oslo, contre les Occidentaux, « n'a pas d'autre but que de contrôler le pouvoir sous le déguisement d'une lutte contre un oppresseur colonial », comme le dit Thomas Friedman dans le « New York Times » (29 décembre). Il en est de même de l'Iran et de toutes les dictatures arabes. L'origine des ravages du Moyen-Orient et du malheur arabe depuis tant de décennies est que trop de dirigeants préfèrent la guerre au développement. À la suite du 7 octobre, les peuples doivent commencer à affirmer que la cause arabe est mieux défendue par les tours que par les tunnels.
Par Eric Le Boucher (éditorialiste aux « Echos »)
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